Lesilecomores

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Entre Assoumani et Rajoelina, quelques carats au cœur d’une affaire d’État ?

La fermeture des frontières maritimes entre les Comores et Madagascar amplifie le refroidissement diplomatique entre les deux pays. Une « décision unilatérale », selon les autorités comoriennes, que les raisons sanitaires invoquées pourraient ne pas suffire à expliquer.

 

Les 280 passagers de l’Acadie, bateau battant pavillon comorien, ont eu la désagréable surprise de se voir refoulés par les autorités malgaches à leur arrivée au port de Majunga, le 17 octobre. Après trois jours de mer, ils ont attendu pendant cinquante-cinq heures, à quelques dizaines de mètres seulement du quai, une autorisation de débarquer qui n’est jamais venue, avant de devoir rebrousser chemin vers l’île d’Anjouan, qu’ils ont regagnée le 21 octobre. Ils ne pouvaient savoir qu’à Madagascar, le Conseil des ministres, réuni autour du président Andry Rajoelina, avait décidé, la veille de leur arrivée, de fermer les frontières maritimes avec l’Union des Comores.

 

Une décision justifiée, selon un communiqué du gouvernement malgache publié le 21 octobre, par la détection d’une dizaine de nouveaux cas de choléra, portant à un peu moins de 200 ceux enregistrés ces dernières semaines dans l’archipel comorien. « État souverain, Madagascar a donc réaffirmé son droit et son devoir de garantir la sécurité sanitaire de ses citoyens », poursuit le communiqué, rappelant que des « mesures identiques avaient été précédemment appliquées lors de la première flambée de choléra aux Comores, à l’issue de laquelle les liaisons maritimes avaient été rétablies », et de souligner que « cette décision n’altère en rien les relations fraternelles et amicales entre Madagascar et l’Union des Comores ».

 

Cette affirmation a été vite contredite par Moroni. Le jour même, le ministère comorien des Affaires étrangères comorien a dénoncé « une décision unilatérale de Madagascar qui fait fi des liens d’amitié et de bon voisinage » existant entre les deux pays. Après s’être interrogé « sur le bien-fondé d’une telle décision, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’ayant à ce jour déclenché aucune alerte pouvant justifier des mesures aussi drastiques et restrictives », Moroni a appelé « les autorités de Madagascar à reconsidérer leur position et à donner une chance au dialogue pour mettre fin à ce regrettable malentendu ».

 

C’est la première fois que Moroni hausse ainsi le ton face à son grand voisin qui, depuis quatre ans déjà, a suspendu de manière tout aussi unilatérale et pour un motif identique les liaisons aériennes entre les deux pays. Décidément fâché, le président Azali Assoumani a déjà fait savoir qu’il ne recevrait pas la ministre des Affaires étrangères malgache, Rasata Rafaravavitafika, dont la visite était annoncée pour le 24 octobre, en raison « d’un agenda chargé ». Et peut-être aussi caché. Si du côté d’Antananarivo, on se retranche derrière des considérations de stricte santé publique, à Moroni, certains responsables politiques ont été prompts à lier cette décision à une autre affaire qui empoisonne les relations entre les deux pays insulaires depuis près de quatre ans.

 

Saisie contestée de 50 kg d’or

 

Le 28 décembre 2021, les douanes comoriennes saisissent 50 kg d’or en provenance de Madagascar. Arrivés dans de simples bagages par bateau à Anjouan, les lingots avaient ensuite rallié l’île de la Grande Comore et son aéroport international, où un jet privé les attendait pour partir sur Dubaï. Trois hommes sont arrêtés, un Comorien et deux ressortissants malgaches qui seront renvoyés dans leur pays quelques semaines plus tard, après une visite express à Moroni du ministre de la Justice de l’époque, Herilaza Imbiki.

 

Si ce dernier a pu arracher, après plus de quarante-huit heures de négociations, l’extradition de ses compatriotes, il rentre par contre sans l’or, aujourd’hui encore conservé dans les coffres de la Banque centrale des Comores. Depuis, la présidence malgache multiplie les requêtes auprès des autorités comoriennes pour récupérer le magot. Sans succès jusqu’alors, creusant encore un peu plus le différend entre les deux chefs d’État.

 

Les deux présidents en font-ils désormais une affaire personnelle ? Lors de sa venue à Moroni, le 26 mai, pour assister à l’investiture de son homologue comorien, Andry Rajoelina a demandé une nouvelle fois à ce dernier de lui rétrocéder les lingots. Mais son obstination se heurte à celle d’Assoumani Azali, qui refuse d’envisager une telle issue sans une demande officielle du palais présidentiel d’Iavoloha. « Nous ne sommes même pas sûrs que cet or provienne du sous-sol de Madagascar », confie un officiel comorien, en référence aux documents montrés à l’époque par les trafiquants et portant le sceau du… Mali. Andry Rajoelina n’a jusqu’à présent pas répondu au souhait de son homologue comorien.

 

L’affaire est-elle encore plus complexe qu’il n’y paraît ? Dans son édition du 25 octobre, La Gazette des Comores n’a pas hésité à relier cet or au beau-père du chef de l’État malgache, Rodolphe Razakandisa. Ce dernier a démenti dès le lendemain, dans un droit de réponse. Et dans un courrier daté du 26 octobre, le ministère malgache de la Communication et de la Culture a sommé la direction du journal de « rectifier formellement ce point précis de l’article, qui impacte les relations entre nos deux pays ». Sans suite jusqu’à présent.

 

« Pour éclaircir les choses, la bonne approche serait que nos deux ministères de la Justice prennent contact comme pour n’importe quelle affaire judiciaire », estime un membre du gouvernement comorien. Si ce n’est que le temps passant, elle est déjà sortie de son simple cadre légal pour se transformer en crise diplomatique. Avant de devenir, peut-être, une affaire d’État.

 

source: www.jeuneafrique.com

 



29/10/2024
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