Lesilecomores

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En 1944, un Afro-Américain de 14 ans était condamné à tort à la chaise électrique

Il y a plus de quatre-vingts ans, en Caroline du Sud, George Stinney était exécuté pour le meurtre de deux fillettes blanches, après des aveux forcés. Une procédure finira par annuler cette sentence injuste... sept décennies après les faits, en 2014.

 

Le vendredi est le jour des exécutions en Caroline du Sud. Et ce vendredi 16 juin 1944, les témoins présents dans la chambre d'exécution du pénitencier de Columbia –capitale de cet État du sud-est des États-Unis– ne sont pas près de l'oublier. Il est 7h30 lorsqu'une silhouette frêle pénètre dans la pièce, un Afro-Américain de 14 ans, nageant dans son uniforme rayé noir et blanc. Du haut de son mètre cinquante, George Junius Stinney Jr. semble trop petit pour la chaise électrique. La rumeur prétend que ses geôliers l'ont réhaussé en l'asseyant sur une Bible.

 

Les gardiens font le nécessaire. Leurs gestes sont précis, chirurgicaux. En un tour de main, les tibias et les poignets de l'accusé sont sanglés, son corps bardé d'électrodes. Le visage de George Stinney disparaît sous un masque. Le bourreau regarde sa montre: il est l'heure. On abaisse une manette et 2.400 volts traversent le corps du condamné. Les lumières vacillent. Quatre minutes plus tard, un médecin prononce la mort de l'adolescent. Tout est fini.

 

Pour les tribunaux de Caroline du Sud, c'est une grande première. Non seulement, on vient d'exécuter le plus jeune condamné de l'histoire des États-Unis, mais en plus, son procès a été remarquablement expéditif: il n'a duré que trois heures, dont dix minutes de délibération. Entre son arrestation et son dernier soupir, quatre-vingt-trois jours se sont écoulés. Et cette économie de moyens, si elle flatte sans doute le contribuable, n'a pas épargné à George Stinney un procès larvé de raccourcis et de vices de forme.

 

Condamné injustement à mort?

 

Revenons sur les faits. Trois mois plus tôt, le 23 mars 1944, la police découvrait les corps sans vie de deux jeunes filles blanches, dans un fossé près de la ville d'Alcolu (Caroline du Sud). Âgées respectivement de 7 et 11 ans, Mary Emma Thames et Betty June Binnicker ont été battues à mort, leurs crânes fracassés avec un objet contondant. Après l'horreur, puis l'angoisse venue étrangler la communauté locale, la colère prend le dessus. Les habitants réclament un coupable.

 

Dans ce coin perdu de Caroline du Sud, où les lois ségrégationnistes gouvernent encore les rapports de force, l'événement est évidemment teinté de haine raciale. La bourgade de 1.700 âmes (à l'époque) est séparée en deux: deux églises et deux écoles, où les Noirs et les Blancs ont leur place distincte, comme sur les carreaux d'un échiquier. Or, on a retrouvé les cadavres du côté «noir» de la ville et George Stinney semble être le dernier à les avoir croisées et vues en vie.

 

La nouvelle de l'arrestation du garçon fait rapidement le tour du village. Des policiers l'ont raflé, lui et son frère aîné, à leur domicile. La procédure est pour le moins expéditive. Interrogé par les autorités dans une pièce fermée, sans que ses parents ni un avocat ne soient présents, George Stinney passe aux aveux. C'est là, affirmera le shérif du comté, qu'il aurait confessé le double meurtre, indiquant notamment l'endroit où il avait abandonné l'arme du crime, une barre de chemin de fer.

 

Après l'arrestation de George Stinney, la machinerie judiciaire se met en branle. Le procès s'ouvre le 24 avril 1944 au palais de justice du comté de Clarendon. Pour assurer sa défense, l'accusé est aux mains d'un avocat fiscaliste qui n'a jamais plaidé la moindre affaire criminelle. Bien entendu, aucun Afro-Américain n'est autorisé à pénétrer dans le tribunal. Le jury, composé de douze hommes blancs, tranche rapidement dans la journée. Les délibérations sont expédiées en dix minutes et l'accusé reconnu coupable à l'unanimité. Son avocat refuse de faire appel.

 

Le reste de l'histoire est facile à deviner. Sous la pression des résidents, qui menacent de le lyncher, l'adolescent est transféré au pénitencier de Columbia, à une centaine de kilomètres à l'est d'Alcolu, où la sentence doit être exécutée. La famille Stinney est contrainte de déménager face à une communauté locale de plus en plus hostile. «À l'époque, quand on était blanc, on avait raison, quand on était noir, on avait tort», déclarera plus tard la sœur du condamné.

 

Il reste un dernier espoir: le gouverneur de Caroline du Sud peut encore épargner à l'adolescent la peine capitale et commuer sa sentence en prison à perpétuité. Des dizaines de lettres appelant à la clémence arrivent sur le bureau d'Olin D. Johnston. En vain, elles resteront lettre morte. «Le gouverneur a étudié le dossier et ne trouve aucune raison d'intervenir», rapporte le journal Evening Star, le 12 juin 1944. George Stinney devra passer sur la «chaise de la mort» quatre jours plus tard.

 

«Pas de plus grande injustice»

 

Il faudra attendre soixante-dix ans pour que son cas repasse devant la justice américaine. En 2014, sa petite sœur lui a notamment fourni un alibi, affirmant que George était avec elle lorsque les deux fillettes ont été assassinées. Mais le doute persiste. En tout état de cause, l'adolescent de 14 ans, que la famille des victimes décrit comme «une brute», aurait très bien pu être l'assassin des deux filles. Aucune preuve ne le disculpe. Aucune preuve ne prouve non plus sa culpabilité.

 

C'est ce vide et le manque flagrant de preuves qui ont poussé au réexamen de l'affaire. Ni confession signée, ni indices médico-légaux, ni compte-rendu du procès, sans oublier des aveux potentiellement arrachés sous la contrainte. «Je ne vois pas de plus grande injustice que la violation des droits constitutionnels d'une personne, ce qui a été prouvé dans cette affaire», conclut la juge en charge du dossier, en décembre 2014. Pour cause de procès inéquitable, le jugement est donc annulé. La procédure de réhabilitation de George Stinney aura duré quatre fois plus longtemps que celle qui, soixante-dix ans plus tôt, le condamnait à la chaise électrique.

 

source:alate

 



03/02/2025
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