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Départ de l’armée française du Tchad et du Sénégal : une rupture historique et salutaire

Si le retrait militaire de la France dans les deux pays, réclamé par l’opinion à Dakar et N’Djamena, signe la fin inéluctable de la domination de Paris sur ses alliés africains, il offre aussi à l’ancienne puissance coloniale la possibilité d’affronter son passé et de refonder enfin ses relations avec le continent sur des bases saines.

 

Le 28 novembre 2024 restera dans l’histoire de la relation entre la France et l’Afrique comme une date historique, celle du dernier coup de clairon d’une retraite passablement humiliante pour la « Coloniale », cette armée de conquête devenue symbole de sujétion bien au-delà des indépendances.

 

Le hasard a voulu qu’en ce même jour, le gouvernement tchadien annonce mettre un terme à l’accord de coopération en matière de défense signé avec la France, et le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, exprime son souhait de voir les soldats français basés dans son pays plier bagage pour cause d’incompatibilité avec la souveraineté nationale.

 

Le hasard, mais aussi la nécessité, tant cette rupture avec la présence militaire de l’ex-puissance coloniale était exigée par une grande partie de l’opinion, aux yeux de laquelle elle faisait office de chiffon rouge, au point d’apparaître comme inéluctable.

 

Panafricanisme et « sentiment anti-français »

 

« Historique » est bien le terme qui convient. Sous une forme ou sous une autre, l’armée française est en effet présente de façon permanente au Sénégal depuis plus de deux siècles, précisément depuis la « récupération » de Saint-Louis sur les Britanniques en 1814. Elle l’est aussi au Tchad, de manière tout aussi permanente, depuis la bataille de Kousseri et la mort au combat du sultan Rabah, le 22 avril 1900.

 

L’indépendance de ces deux colonies, en 1960, n’a rien changé dans le fond, si ce n’est dans la forme avec la signature d’accords de défense et le repli des éléments français dans des bases : Ouakam au Sénégal et N’Djamena au Tchad. Cette dernière servira, dès 1969, de rampe de lancement à de multiples interventions militaires internes.

 

Après la Centrafrique en 2015, le Mali en 2022, le Burkina Faso et le Niger en 2023, l’armée française est donc en passe de quitter ce qui lui restait de positions dans cette bande sahélo-soudanaise qui lui a si longtemps servi de bac à sable pour entraîner ses troupes et voler au secours de régimes amis de la France.

 

Partout, sauf en Centrafrique, ce retrait s’est effectué – et s’effectuera – à la demande des nouveaux dirigeants de ces pays, militaires pour la plupart, civils dans le cas du Sénégal. La rue, la jeunesse, la lame de fond souveraino-panafricaniste, le « sentiment anti-français », tout les y pousse, avec, dans le cas du Tchad, une particularité : le président Mahamat Idriss Déby Itno n’a jamais digéré l’absence de réaction du contingent français lors de l’assaut des rebelles sur N’Djamena, en février 2008.

 

La fin d’une anomalie

 

Ce départ forcé ne devrait pas être interprété pour autant comme une humiliation ou un camouflet par la France mais comme l’étape cruciale et inévitable de la nécessaire refondation de ses relations avec ses ex-colonies. Sauf à Djibouti, où les bases militaires sont une assurance-vie existentielle contre les convoitises de voisins qui estiment que ce petit État n’aurait jamais dû exister, l’armée française n’a plus rien à faire sur le continent et les dirigeants ivoiriens et gabonais, qui abritent chez eux les derniers confettis de l’empire colonial défunt, seraient bien inspirés d’y songer. En 2024, plus de soixante ans après les indépendances, cette présence est une anomalie à laquelle les présidents Faye et Déby Itno avaient toutes les raisons de vouloir mettre un terme.

 

Plaquer sur ces derniers la grille de lecture de l’influence russe, devenue le kit prêt à l’emploi des services de renseignement français en Afrique, pour qui toute visite d’un chef d’État à Moscou vaut désormais allégeance, n’a guère de sens en ce qui les concerne et évite de regarder en face une réalité apparemment dérangeante. Oui, on peut vouloir le départ de l’armée française sans pour autant se jeter dans les bras d’un maître de substitution. Et oui, les dirigeants africains sont capables, comme les autres, de concevoir leurs choix et de prendre leurs décisions en toute indépendance.

 

L’armée française s’en va, donc. Et il va falloir s’occuper de solder le reste, les autres chiffons rouges. D’abord, les ombres du passé et de la mémoire : le massacre de Thiaroye, la sanglante répression des révoltes malgache et camerounaise, le génocide des Tutsis du Rwanda, la guerre d’Algérie bien sûr, et toutes les taches sur le drapeau de la Coloniale (*). Le franc CFA, ensuite – mais c’est une autre histoire.

 

(*) Éclairant à lire dans ce contexte : Requiem pour la Coloniale de Stephen Smith et Jean de La Guérivière, vient de paraître chez Grasset à Paris.

 

https://www.jeuneafrique.com

 



04/12/2024
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